Les derniers feuillardiers du Limousin

C’est aux confins de la Haute-Vienne, coincé entre les départements de Charente, Dordogne et Corrèze au sud de Limoges que s’étend le pays des feuillardiers. Région de bocage aux paysages changeants, aux allures de montagne n’excédant pas toutefois les 400 m, la Baisse étend ses croupes mollement vallonnées, où alternent champs et forêts au pied du plateau de Millevaches. L’arbre roi est ici le châtaignier qui, durant des siècles, fit vivre des générations de charbonniers, lataires, cercliers et autres carrassonniers (1). Aujourd’hui, de ces vieux métiers d’autrefois ne reste plus que la poésie des mots. Seul le feuillardier, attaché à son terroir et à ses traditions, s’accroche à son métier et tente de faire vivre, ou revivre, une activité vieille de cinq ou six siècles. Mais pour combien de temps encore… Le feuillard Le feuillard, c’est la tige d’un châtaignier provenant d’une pousse, ou rejet, de 7-8 ans, coupée verte en hiver, en période hors sève, puis fendue en deux ; l’un de ses côtés est lissé à la plane, l’autre conserve son écorce. Le feuillardier est donc par extension celui qui coupe le feuillard, le façonne, le travaille. Etymologiquement, si l’on s’en réfère au dictionnaire Robert, le feuillard est « une branche garnie de feuilles, branche flexible fendue en deux qui sert à faire des cercles de tonneaux, feuillards de châtaignier. Par analogie, feuillard de fer, bande étroite de fer servant au même usage ». Son origine, tout comme le métier de feuillardier, remonterait au 14 ème siècle, le terme feuillardier n’étant utilisé, lui, que vers 1850. C’est le besoin en piquets des régions viticoles proches (le vignoble du Périgord, implanté au 18 ème siècle) qui fit se développer cette activité artisanale, consacrée jusqu’alors aux cercles et aux lattes. Grâce à sa facilité de fente et à ses qualités de souplesse, de robustesse et d’imputrescibilité, le châtaignier se révéla en effet comme la meilleure des essences, ce châtaignier qui manquait à la Dordogne mais dont le Limousin était si riche ! Ce fut alors l’âge d’or du feuillardier. Tout y concourut : demandes accrues, certes des régions viticoles, mais aussi diversification en autres produits, lattes, piquets, échalas,… vers d’autres régions, fermeture des forges locales dues à la concurrence du charbon de bois anglais qui eut une double conséquence : abondance de matière première (les forges consommaient plus de 1 800 tonnes de bois de châtaignier par an) et chômage qui provoqua des Fabricants ou faiseurs de charbon, lattes, cercles de tonneaux, tuteurs et piquets de vigne. reconversions de charbonniers en feuillardiers. Cette « grande époque » atteignit son apogée vers 1907 ; on comptait alors 2 500 feuillardiers. La production allait tant en France que vers l’Algérie, l’Angleterre, l’Espagne,… Puis vint la récession, l’apparition de nouvelles matières et de nouvelles méthodes d’usinage. En 1915-1920, on ne comptait plus guère que 300 feuillardiers en activité. Aujourd’hui, les « vrais » ne sont plus guère que quelques dizaines en activité (2), alternant leurs travaux d’agriculteurs et de feuillardiers ; les autres sont devenus ouvriers, employés d’entreprises… Quant au taillis roi, l’enrésinement, comme tant d’autres régions, le menace chaque jour davantage. La loge du feuillardier, ses outils… L’équipement du feuillardier est des plus fonctionnels. Sa loge, à l’instar de la hutte du charbonnier, est construite en forêt, sur place, dans l’exploitation. Haute de 2 m, large de 3,50 à 4 m et longue de 6-8 m, cette loge est la construction traditionnelle d’autrefois. Seul l’éclairage a évolué, la bougie ou la lampe à acétylène d’hier ont cédé la place à la lampe à pétrole… quand ce n’est pas à l’électricité conduite sur place depuis une ferme voisine. On y trouve les mêmes outils de bois : le banc, grosse pièce de bois dur sur lequel sont façonnés les feuillards, muni de son crochet, de la fourchette et de la fendeuse en houx, le coin, les deux billots, l’un servant à couper les feuillards, l’autre à pointer les échalas, la chèvre enfin, avec ses coches pour les coupes à dimensions. La mailloche est faite du même bois dur, tout comme le chantier qui sert à maintenir de grosses barres à fendre. Quant au moule et à l’ambine, le feuillardier les utilise comme hier pour botteler ses productions. Les outils de fer sont à leur place, la scie, les haches, les serpes, la plane et le coutre. Avec eux, l’artisan coupera, pointera, fendra, pèlera, façonnera… Le feuillardier lui-même est revêtu de son tablier de cuir recouvert au niveau de la poitrine du garde-côté, rectangle de cuir renforcé de lamelles de bois destiné à recevoir les morsures fréquentes de la plane. Les marchandises noires, les marchandises blanches… Coupées en hiver, les feuillards et les dagues conservent ainsi leur écorce ; ce sont les « marchandises noires ». Les premiers sont livrés par paquets de 50 au négociant qui assure leur transformation en cercles de tonneaux (Bourgogne, Bordeaux, Cognac notamment, mais aussi whisky en Ecosse). Les dagues sont des produits identiques, provenant de pousses plus petites ; elles sont livrées en paquets de 120 et entrent dans la fabrication des casiers à homards, cerclent les caisses de harengs, savon, tabac,… de France, Belgique, Hollande, voire même Israël. Les dimensions de ces produits s’expriment toujours en pieds, en souvenir sans doute des belles exportations d’autrefois vers l’Angleterre. Une association des feuillardiers du Périgord a été créée en 2019 afin de travailler à la professionnalisation du métier ainsi qu'à son redéveloppement dans la région de la vallée de la Vézère et du Grand Site de France Vallée Vézère. Son siège social est à la mairie des Eyzies (24620, France) Les « marchandises blanches » sont tout ce qui est écorcé et qui peuvent donc ainsi être coupées plus tard en saison ; leurs dimensions s’expriment en mètres. Parmi elles, citons les lattes pour la fabrication de divers types de clôtures, les piquets de vigne, les tuteurs de tomates ou de rosiers, les échalas camards, utilisés hier encore en Grande-Bretagne pour clôturer les parcs à moutons, les échalas-quartiers dans le vignoble de Marmande, les plats et quartiers, les plats demi-ronds, ripés pour les clôtures croisillonnées de France, des USA… De nouvelles productions sont apparues par la suite : les meubles en éclisses de châtaignier : fauteuils, banquettes, chaises, coffres, tabourets, tables,… Ce sont des produits très soignés, d’un prix tout à fait abordable, mais fragiles lors des transports et « sensibles » aux réseaux de distribution… et aux modes, ce qui est bien dommage car les artisans qui en assurent la fabrication méritent de réussir. De même trouve-t-on au bord des routes, verts le Grand-Puyconnieux par exemple, des fabricants de paniers, tressés ou non, de respes, corbeilles sans anse. Là encore, la fabrication est de qualité… même si la commercialisation est quelque peu folklorique ! Puissent toutefois ces nouveaux débouchés redonner vigueur à ce si beau métier dont l’avenir, là comme ailleurs, est entre les mains de la jeunesse.

Reportage Outback Images : Texte et photos Jean-Claude Chantelat

Bibliographie : Revue Ethnologia – N° 3-4 – Décembre 1977, article de François Guyot Mémoire de maîtrise « L’avenir de l’artisanat à travers 3 vieux métiers » - Juin 1985, de Cécile Segard « Les feuillardiers du Limousin et leur syndicat », 1907, de Pol de Corbier

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