Née de la subtile alchimie d’une tradition millénaire et d’un savoir-faire ancestral, la poutargue, mets d’exception, déjà connue et appréciée des civilisations antiques, grecques et romaines, rivalise de saveurs et de grâce avec l’esturgeon, le beluga ou l’osciètre. Si elle peut être de lingue, de thon ou de julienne, « notre » poutargue, celle de Martigues et de Port-de-Bouc, est uniquement fabriquée à base d’œufs de mulet. Découverte d’un produit d’exception.
Fruit de la nature et de l’art par excellence, la commercialisation de cet or marin demeure depuis le 18e siècle, le privilège de quelques pêcheurs et entreprises familiales entre Martigues et Port-de-Bouc, où les secrets de sa fabrication sont précieusement perpétués de génération en génération pour le plus grand plaisir d’un ravissement gustatif unique et sans égal. Surnommé « caviar provençal » ou « caviar de méditerranée », la poutargue, ou parfois boutargue, dérivant de l’espagnol « botague » et de l’arabe « bitârikha » signifiant « œufs de poisson salés », trouve sa source dans le canal de Caronte, reliant l’étang de Berre à la Méditerranée.
Lorsqu’elles s’apprêtent à frayer en mer, les mulets femelles ou « muges » en provençal, dont les œufs une fois extraits et séchés serviront à préparer la poutargue, sont pêchées à l’aide de grands filets, ou « calens », tendus sur toute la largeur du canal. Sitôt recueillis, les œufs de muge, disposés en deux grappes et contenus dans la fine enveloppe qui les maintient agglomérés, sont déveinés à la main, nettoyés à l’eau froide, puis mis au sel. Triées par taille afin de les faire dégorger le mieux possible, durant un processus de 6 à 8 heures, les poches perdront environ 1/3 de leur poids. Rincées et disposées soit en clayettes ventilées dans un séchoir, soit directement au soleil, reliées par le « pécou », morceau de chair attaché à la double poche, évitant ainsi qu’elles ne se vident, elles seront alors régulièrement aplaties jusqu’à obtenir leur typique forme de parallélépipède rectangle d’une épaisseur de 1,5 cm. En fabrication artisanale, la poutargue est simplement présentée dans sa gaine d'origine, naturelle et transparente. On peut aussi la trouver dans de la paraffine alimentaire, ou de la cire d’abeille, afin de mieux assurer sa conservation hors de toute oxydation à l'air. On estime qu’une dizaine de kilos d’œufs ne représentent, après séchage, que six kilos de poutargue.
Produit d’exception dont Rabelais vantait déjà les exquises grâces étreintes d’iode et d’astringence, magnifiées d’une pointe d’amertume, la poutargue reste toutefois assez rare. En 1922, une dizaine de calens étaient répartis entre Martigues et Port-de-Bouc. Aujourd’hui, il n’en subsiste que deux, un sur Martigues et un sur Port-de-Bouc, la pêche étant de surcroît réglementée de juillet jusqu’en septembre.