Murs blanchis au lait de chaux gorgés de soleil, façade en pignon et croupe arrondie côté Nord pour résister aux déchaînements du mistral, toiture à deux pans composée des roseaux provenant des étangs voisins, la cabane de gardian était autrefois le logement de l’ouvrier agricole de Camargue. Ces cabanes traditionnelles ont peu à peu disparu au cours du siècle dernier, leurs occupants aspirant, à juste titre, à plus de confort et de modernisme, mais les toitures de sagne ont perduré grâce à une poignée d’artisans couvreurs, les cabaniers.
Ces cabaniers, ainsi appelés dans le sud de la France, sont des artisans couvreurs spécialisés dans la réalisation de toitures de chaume et utilisant exclusivement les roseaux (phragmites) comme couvrants. Coupés de novembre à mars dans les grands étangs bordant la Méditerranée, avant la croissance de la « marée verte » (les jeunes tiges vertes apparaissant avec le printemps), cette sagne, ou sagno, est conditionnée en ballots de 60 cm de diamètre, peignés, débarrassés des vilaines tiges et calibrés. Le cabanier confectionne à partir des ces gros ballots bruts des javellesplus petites appelées manons, ou manouns (la taille d’une main), de 10 cm de diamètre qu’il commence à poser dans les rangées du bas en les fixant un à un sur des lattes, condorses, ou condorsos, métalliques (autrefois en bois) avec des ligatures en fil d’acier (aujourd’hui en inox). Les manons sont déposés côte à côte perpendiculairement au faîtage ; chaque rangée supérieure recouvre la rangée inférieure aux 2/3. Le faîtage est terminé par une couche de ciment couvrant les pointes des dernières rangées ; le plus fréquemment, la cabanier utilise un mortier à la chaux dont la couleur blanche reflète la chaleur du soleil, omniprésent en Camargue.
Les outils du cabanier sont rudimentaires : l’aiguille courbe chargée de fil d’acier et le coin en bois muni d’un petit manche, lou bâceu, espèce d’écarteur qui permet de faire passer l’aiguille entre les manons serrés les uns près des autres, le battoir pour aligner les talons apparents des manons fixés sur la toiture, un niveau et un jeu d’échelles.
Les cabaniers, devenus peu nombreux en Camargue, ont dû s’adapter et, pour s’assurer des revenus corrects, répondre à une clientèle exigeante aux goûts diversifiés ; ainsi voit-on apparaître aujourd’hui, un peu partout autour de la Grande Bleue, paillottes, bungalows, résidences secondaires… couverts de sagne selon la méthode typique de la pose en escalier. Si l’on ne peut plus véritablement parler d’authenticité ni de respect des techniques anciennes à leur sujet, ces cabanes modernes permettent toutefois à la forme et à l’image de la cabane de gardian de perdurer dans le paysage et dans les esprits.
Reportage Outback Images : Texte et photos Jacques Delpech (selon choix)